François Bédarida, décédé le 16 septembre 2001 à Fontaine-le-Port, près de Paris, à l’âge de 75 ans, a porté bien haut pendant les derniers dix ans, les idéaux du Comité international des Sciences historiques. Sa carrière aura été marquée par une rare polyvalence et une rare constance dans la poursuite de sa vision de l’histoire et du rôle de l’historien, à la croisée de préoccupations et d’engagements scientifiques, moraux et civiques. D’abord historien de l’Angleterre victorienne, ses travaux porteront ensuite sur le XXe siècle français. Ses études sur cette période sombre de l’histoire de France qu’a été la Seconde Guerre mondiale l’ont entraîné à mettre en avant la responsabilité sociale et scientifique de l’historien. Convaincu de la nécessité d’«historisation de la Résistance» et porté par sa conviction de l’importance de l’exigence de vérité, il n’a pas hésité à utiliser les outils critiques de l’histoire pour confronter les différentes mémoires de cette période. Il est entraîné dans des controverses, dont l’affaire Touvier entre autres. Il accepte de témoigner en justice comme historien et saura faire profiter la communauté scientifique de ses expériences en poussant sa réflexion sur des questions davantage épistémologiques telle la responsabilité sociale, morale et civique des historiens, ainsi que sur le caractère fondamental du binôme histoire et mémoire pour la connaissance historique.
Né le 14 mars 1926 à Lyon, fils d’universitaire, François Bédarida s’installe très jeune avec ses parents à Paris, où il fait ses études. Élève des lycées Montaigne, Louis-le-Grand et Henri IV, il s’engage durant la guerre dans les mouvements clandestins de résistance où, en 1943, il fait la connaissance de la femme de sa vie, Renée Mély, qu’il épouse en 1949. Profondément croyant, son engagement dans le mouvement Témoignage Chrétien constitue une fidélité qui marquera toute son existence. Élève de l’École normale supérieure, il obtient son agrégation en 1949.
Sa carrière débute à Marseille, où il enseigne brièvement au lycée Thiers, mais il bifurque vers le Royaume-Uni où il œuvre d’abord à l’Institut français (1950-1956), avant d’être attaché de recherche du CNRS entre 1956 et 1959. Nommé assistant d’histoire moderne et contemporaine à la Sorbonne (1961-1966), François Bédarida retourne bientôt en Grande-Bretagne, à Oxford, où il obtient le grade de Master of Arts en 1966 et dirige la Maison française (1966-1970). Spécialiste reconnu de l’histoire de la société britannique du XIXe siècle, il a publié quelques ouvrages remarqués.
Maître de conférences à l’Institut d’études politique de Paris entre 1971 et 1978, il s’intéresse à l’histoire de la société française contemporaine et sera le fondateur de l’Institut d’histoire du Temps présent et son premier directeur (1978 –1990). C’est de là qu’il stimulera l’intérêt pour l’histoire de la France de la période de la Guerre, y consacrant lui-même ses recherches. Ses travaux, réalisés seul ou en équipe, font avancer les connaissances sur cette période et donnent lieu à des publications significatives pour le développement de l’historiographie française. Il est nommé Directeur de recherches au CNRS en 1979, puis Directeur de recherches émérite en 1995. Vers la fin de sa carrière, il revient à ses intérêts anciens, publiant en 1999 une remarquable biographie de Churchill et, en 2001, éditant en collaboration avec sa femme, Renée Bédarida, La résistance spirituelle 1941-1944. Les Cahiers clandestins de Témoignage chrétien.
En 1990, il devient Secrétaire général du Comité international des Sciences Historiques. Il abordera ces nouvelles fonctions avec sa fougue, sa générosité et son enthousiasme coutumiers, mettant au service du Comité sa vaste culture historique, sa connaissance du milieu des historiens et le faisant profiter de son rayonnement scientifique. Il travaille sans relâche au rajeunissement des cadres du CISH et à la modernisation de l’architecture de ses congrès internationaux. Cheville ouvrière du Comité international, il déploie son énergie sur tous les fronts, de son rôle de Secrétaire général à celui de responsable de thèmes majeurs lors des Congrès ou encore suscitant l’ouverture du CISH sur le monde, dont en particulier les pays africains, ou enfin prenant la direction d’un numéro spécial de la revue Diogène sur le thème de la responsabilité sociale de l’historien. Profondément convaincu de la justesse des objectifs fondamentaux du CISH, il s’est fait le promoteur infatigable de la coopération internationale et de la constitution d’un réseau d’échanges scientifiques où tous les pays seraient traités équitablement. Il a animé pendant dix ans la vie du CISH, stimulant la réflexion des membres par ses rapports circonstanciés étoffés qu’il livrait à chacune des assemblées générales et par ses interventions pour centrer l’action du CISH sur le développement du métier d’historien et l’ouverture au monde. Sa passion pour l’examen du rapport entre histoire et mémoire, doublée de sa conviction du rôle de ces deux éléments dans la vie des organismes, l’amènent à se pencher sur l’histoire du CISH et à exhumer des archives ou à susciter auprès d’un ancien Secrétaire général des témoignages sur l’histoire du premier demi-siècle du Comité. Il les publiera dans le Bulletin du CISH, entre 1992 et 2000. Son intégrité, son profond sens des responsabilités et sa conscience professionnelle exigeante sont en grande partie responsables de la bonne santé du CISH ainsi que du succès du programme du Congrès de Montréal, en 1995 et du Congrès d’Olso en 2000. Son rapport final sur ses dix années comme Secrétaire général, communiqué au dernier Congrès et publié dans la présente livraison, constitue un document de réflexion profond et stimulant que le CISH dans son entier peut dorénavant considérer comme son testament. Puisse le CISH y puiser une inspiration pour l’avenir!
Il aura été remarquable par sa foi inébranlable dans le travail de l’historien et le respect de certaines valeurs morales fondamentales. Il était Chevalier de la Légion d’honneur et Officier de l’ordre national du mérite. Il laisse dans le deuil sa femme et ses trois enfants.
Jean-Claude Robert